Partir, c'est mourir un peu...
Le Seigneur nous apprend à partir. Nous célébrons aujourd’hui le jour où il s’en va. Bravo mes sœurs pour le timing comme on ne dit pas en latin ! Il nous apprend à laisser la place, il nous apprend à l’abandon, il nous apprend être le grain de blé qui meurt en terre.
On dit que partir c'est mourir un peu,
partir c'est mourir un peu
mais s'en aller pour chercher Dieu c'est trouver la vie !
Partir c'est mourir un peu, partir c'est mourir un peu,
mais s'en aller pour chercher Dieu c'est trouver la vie !
(Abraham - Maya & Noël Colombier)
Nous pourrions pleurer.
Pleurer sur le mouvement historique qui a vu et qui voit disparaître les signes de la vie religieuse apostolique en Europe, et tout particulièrement en France.
Pleurer parce que vous partez, mes sœurs, et qu'il va donc falloir faire ce que vous faisiez, être ce que vous êtes. Ce seraient alors les pleurs du paresseux qui est devant la part de mission qu'il a à accomplir et n’a pas le courage de s'y atteler. Et je m’y connais !
Pleurer parce qu'il va nous falloir être ce que vous avez vocation d'être au cœur de l'Église, pour le monde : un signe prophétique, c'est à dire qui nous parle au Nom de Dieu en contradiction de la vie du monde
La vie religieuse, ce n'est pas pour que d'autres fassent des choses à notre place, remplissent des charges à notre place ; la vie religieuse, ce n'est pas pour que d'autres vivent le baptême à notre place, la vie religieuse est un signe prothétique de ce que nous devons être, des disciples du Christ dans toutes les dimensions de notre vie, un signe prophétique de ce que nous devons devenir : des disciples du Seigneur tournés vers son Royaume. Les engagements de votre vie religieuse sont pour nous aussi.
La Pauvreté : Chacun de nous, nous avons des charges, des responsabilités, et nous n'avons pas à vivre comme un ordre mendiant qui s'abandonnerait totalement à la providence. "Tu te nourriras du travail de tes mains", dit le psaume 127. Mais, si nous possédons, nous devons vivre comme si nous ne possédions pas. L'apôtre Paul nous le rappelle quand il dit aux chrétiens de Corinthe "Que ceux qui font des achats soient comme s'ils n'en faisaient pas". Et le livre des actes des apôtres nous le rappelle quand St Luc écrit en parlant des chrétiens "personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais ils avaient tout en commun."
Oui, en ce monde où le seul modèle économique qui soit est basé sur le consumérisme, le chrétien, et pas seulement les religieuses, doit témoigner d'un certain rapport aux biens, à l'argent, au monde, à la création. Tout n'est pas objet de possession, tout est don reçu, même quand nous avons transpiré pour en bénéficier. Tout est don reçu, à commencer par la vie. Et quand nous en bénéficions, ce don, ce talent, est fait pour participer à la vie commune, pour le service de tous. Au passage, c'est ça aussi la fonction de l'impôt : ça nous relie les uns aux autres.
La Chasteté : Ce n'est pas simplement l’absence de relations sexuelles, ce serait très réducteur ! C'est aussi, en même temps, une certaine forme de distance dans la relation. Distance physique qui exprime le désir de garantir la liberté de l'autre. Il me semble quand même qu'on en parle beaucoup aujourd’hui dans les affaires d’abus sexuel ou d’abus de pouvoir!
Ce n'est pas facile de vivre ainsi, proche et distant. Il faut là aussi regarder le Seigneur : Il s'est fait pauvre pour nous rejoindre, c'était le premier point, être proche ; et il est en même temps proche et distant ; le tout proche et le très-haut. N'est-il pas ainsi dans votre vie ? N'y a-t-il pas chez vous cette expérience, certains jours, de la proximité de Dieu ? Mais aussi parfois, souvent, de sa distance ? Cette impression qu'il est loin ? Ne faites-vous pas vous aussi cette expérience qu'un père permet à son enfant de faire quand il lui apprend à marcher : il le tient, il le lâche, il s'éloigne pour apprendre à l'enfant à avancer seul. Le Seigneur n'est-il pas ainsi avec vous ou suis-je le seul à vivre cette expérience ? C’est là que nous pouvons apprendre la chasteté dans les relations, chasteté qui éloigne de nous l'esprit de ruse, de calcul. Trop d'hommes, dans l'exercice du pouvoir, et nous n'en sommes pas exempts, à quelque place que nous soyons dans la société, trop d'hommes donc se laissent prendre par le désir de dominer, de posséder, d'arriver à leurs fins, leurs buts même justes par des moyens qui ne le sont pas parce qu'ils ne respectent pas le chemin de l'autre, la liberté de l'autre, la distance qui nous sépare, mais aussi nous relie, la nécessaire chasteté dans nos relations.
L’Obéissance :
Ce n'est pas à la mode, ni le mot, ni la belle réalité qu'il désigne. Et pourtant :
Obéir, d'un verbe latin signifiant "prêter l'oreille". Obéir, d'un verbe latin issu lui-même du grec qui veut dire : "percevoir par les sens", "percevoir par l'intelligence", "comprendre".
Obéir, c'est écouter l'autre, tenir compte de l'autre, collaborer avec l'autre, travailler avec l'autre. Ce n'est pas se mettre dessous, se soumettre, sinon dans le sens que donne Paul à ce mot et à sa réalité quand il dit dans la lettre aux Philippiens, juste avant ce que nous appelons l'hymne aux philippiens : "Ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres. Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus : Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, […]" vous connaissez la suite par cœur, sinon allez voir la lettre aux philippiens au ch. 2, jusqu’au verset 11, jusqu’à "et que toute langue proclame Jésus est Seigneur à la Gloire de Dieu le Père."
Tenir compte de l'autre : la vie communautaire en est une belle expression.
Votre vie communautaire mes sœurs, mais aussi celle des familles, d'une certaine façon des quartiers et du voisinage, celle des prêtres qui elle aussi peut avoir plusieurs formes. Tenir compte de l'autre dans l'Église, en Église quand nous cherchons à élaborer des projets communs, comme quand nous voulons répondre à l’appel de notre évêque pour être une paroisse unifiée quoique diverse. Oui, expérience douloureuse, fatigante, mais heureuse quand on voit émerger un consensus sur ce qu'il faut faire parce que nous découvrons là le chemin que le Seigneur nous appelle à parcourir.
Le Seigneur nous apprend à partir. Nous célébrons aujourd’hui le jour où il s’en va. Bravo mes sœurs pour le timing comme on ne dit pas en latin ! Il nous apprend à laisser la place, il nous apprend à l’abandon, il nous apprend être le grain de blé qui meurt en terre, il nous apprend que si Dieu apparaît parfois lointain, l’ Église qui va naître à pentecôte nous dit avec certitude dans les actes sacramentels mais pas seulement qu’il est présent et efficace, il nous apprend que c’est à nous de jouer en venant avec Jésus sur l’autel et encore avec lui dans la rue et partout ailleurs. Entendons à nouveau les dernière paroles de la lettre de Paul aux éphésiens (ch 1) entendue tout à l’heure en deuxième lecture : "Il a tout mis sous ses pieds et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de lui la tête de l’Église qui est son corps, et l’Église, c’est l’accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble totalement de sa plénitude."
Alors pleurons, parce que vous nous manquerez, mais surtout rendons grâces de ce qui a été, de ce qui est et de ce qui sera si nous le voulons bien, si nous acceptons que le Seigneur nous y aide et ayons nos vies tournées vers leur achèvement en Dieu.
On dit que partir c'est mourir un peu,
partir c'est mourir un peu
mais s'en aller pour chercher Dieu c'est trouver la vie !
Partir c'est mourir un peu, partir c'est mourir un peu,
mais s'en aller pour chercher Dieu c'est trouver la vie !
Père Gérard Faure, curé
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